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31/08/2017
La maison des Turner
"La maison de Yarrow Street c'était leur mascotte sédentaire, et ses façades délabrées, les armoiries des Turner."
Viola la matriarche des Turner (13 enfants, une flopée de petits enfants et arrière petits-enfants) voit sa santé décliner et l'aîné de ses fils, Charles dit Cha-Cha rassemble la famille pour décider du sort de la maison familiale. Las, nous sommes à Detroit, la crise des subprimes a sévi, la maison ne vaut plus rien mais les avis sont partagés car certains sont très attachés à cette habitation où il sont tous grandi.
Une vingtaine d'années sépare l'aîné des enfants de la petite dernière, Leah,et ce sont surtout à ces deux personnages que va s'attacher le récit .Alternant passé et présent, nous découvrons aussi au passage des épisodes marquants de la vie du patriarche, décédé bien avant la réunion familiale, qui a su quitter sa campagne pour venir s'installer en ville.
De 1944 à 2008, c'est donc la vie, les épreuves, les joies de toute une famille noire que nous découvrons par le biais de personnages attachants qui ont su me séduire même si je ne suis pas une fan absolue de sagas familiales. Un grand plaisir de lecture à ne pas manquer.
La maison des Turner de Angela Flournoy , traduit de l’américain par Anne-Laure Tissut, Éditions Les Escales 2017.
05:58 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : angela flournoy
30/08/2017
La petite danseuse de quatorze ans
"Sa statuette, qui emprunte aux techniques médicales et aux fabrications d'objets courants est donc aussi et avant tout une immense réflexion sur la puissance de la création et en particulier de la sculpture."
Nous avons tous en tête tous la sculpture de Degas, reproduite à de très nombreux exemplaires .Mais qui connaît l'identité de La petite danseuse de quatorze ans qui posa pour le sculpteur ?
Dans cette enquête, Camille Laurens s'attache à retracer la vie en en apparence "minuscule" de Marie van Goethem et, à travers elle,à brosser le portrait de toutes ces petites filles pour qui la danse représentait plus un moyen de survie ,via l'exploitation éhontée de leurs corps, qu'un art exaltant.
L'auteure s’attache aussi à la manière dont l’œuvre elle-même a été accueillie, de manière très violente au début, avant de connaître une renommée mondiale.
Très documentée , tour à tour émouvante et révoltante, cette enquête analyse aussi les relations entre l'artiste, son modèle et la manière dont une œuvre est reçue par le public. Un document passionnant qui se dévore comme un roman.
La petite danseuse de quatorze ans, Camille Laurens, Stock 2017.
06:00 Publié dans Essai, rentrée 2017 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : camille laurens
29/08/2017
Le coeur battant de nos mères
"Chez elle, la perte était omniprésente, elle avait du mal à voir au-delà, c'était comme essayer de regarder par une fenêtre couverte d'empreintes de doigts. Elle se sentirait toujours prisonnière derrière cette vitre placée entre elle et le monde. Au moins à Ann Arbor, la vitre était plus propre."
à dix-sept ans, Nadia perd sa mère et tombe enceinte du fils du pasteur. La jeune fille, issue d'une communauté noire et religieuse, promise à un bel avenir universitaire, choisit d'avorter.
Cette décision n,traînera de multiples conséquences, à court mais aussi à long terme.
Comme un chœur antique, les femmes du Cénacle, association religieuse de femmes plus anciennes, plus expérimentées, commentent en contrepoint la trajectoire de Nadia, celle de Luke, son ancien amant et celle d' Aubrey, sa meilleure amie.
Le roman ne s'attarde pas outre mesure sur le parcours universitaire de Nadia, mais davantage sur son émancipation, dont il n'est qu'une étape. La jeune femme refuse ainsi de s'impliquer dans toutes ses relations affectives, tant avec des Blancs qu’avec des Noirs. Elle souligne aussi au passage le racisme subtil, qui pourrait presque passer inaperçu, dont sa communauté est victime. Un roman prenant qui propose un point de vue original et rare.
Le coeur battant de nos mères, Brit Bennett, traduit de l’anglais (E-U) par la talentueux Jean Esch, Autrement 2017, 336 pages.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : brit benette
28/08/2017
Sa mère
"Elle m'a promis de m'offrir L'Alchimiste un jour. Je lui ai demandé de glisser du Motilium avec."
Vendeuse dans une chaîne de boulangerie, Marie-Adélaïde a la rage. Le monde des gens qu’elle considère comme parfaits, se glissant partout avec aisance et élégance , elle l'exècre tout autant qu'il l'attire.
Cette relation amour/haine est aussi celle qu'elle entretient avec la mère qui l'a abandonnée et qu'elle fantasme riche , puissante et aimante.
Aidée par son prénom (qui détonne par rapport au milieu dont elle est issue) ,son intelligence aiguë, son franc parler et un sacré culot, notre héroïne va s'immiscer dans le monde des gens riches et se lancera à la poursuite de l'identité de sa mère.
Si j'ai été enthousiasmée par la première partie du roman, par la manière dont l'héroïne scanne la société et ses codes, j'ai été plus que déçue par la seconde , trop mélo à mon goût. Une sacrée différence de tons qui, à mon avis, nuit à l'aspect percutant du roman. Avis en demi-teintes donc.
Sa mère, Saphia Azzeddine, Stock 2017.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : saphia azzedine
27/08/2017
Si un inconnu vous aborde...
"Ici , pas besoin de rappeler aux gens de s'occuper de leurs affaires. on pouvait bien agoniser sur sa pelouse, ils étaient du genre à tirer poliment les rideaux pour ne pas nous offusquer en remarquant quoi que ce soit."
Quinze nouvelles aux tonalités très différentes composent cet unique recueil de Laura Kasischke. Elle scrute ici avec un regard perçant, non dénué d'humour, notre vie quotidienne, nos drames, nos appréhensions, nos incompréhensions, comment on se débat avec la trame de ce qui constitue nos jours.
Il est souvent question de féminité, de sexualité sous-jacente :une mère qui fouille les affaires de sa fille adolescente si parfaite et si sage, peut être parce qu'elle même au même âge, trompait trop bien son monde. Un père, au bord du divorce, qui se rend à l'anniversaire de sa petite fille et ressent de manière hypertrophiée et agressive la féminité dans tous ses aspects, sans pouvoir la comprendre. Et pourtant, il a lu tous les bons ouvrages féministes, romans , essais et manuels !
Qui d'autre que Laura Kasischke peut ainsi décrire un gâteau d'anniversaire :"Le gâteau faisait penser à l'image surréaliste d'un vagin-rose au centre et entouré de roses encore plus roses faites en glaçages mais qui ressemblaient beaucoup à des chairs humides, le tout surmonté d'une poupée Barbie miniature en maillot de bain comme une danseuse go-go." ? En une cinquantaine de pages, dans ce texte intitulé Melody, c'est toute l'histoire d'un amour, de sa glorieuse naïveté à sa fin incompréhensible pour le narrateur; qui se déroule sur fond de "frénétique combustible d'anniversaire".
Quelques fois, les nouvelles basculent dans le fantastique, à des degrés divers, peut être " par une espèce de distorsion, comme la petite mise en garde faite au pochoir au bas du rétroviseur" mais qu'il s'agisse d'un vieil homme, d'une petite fille ou d’une femme dont l'enfant est malade, tous ces héros partagent la même capacité à nous émouvoir, nous intriguer ou nous faire sourire.
Il serait dommage d'omettre d'évoquer les formidables images dont l'auteure parsème ses textes, comme autant de petits éclats de poésie nous faisant voir sous un autre angl, même les choses plus triviales: "..puis il s'approcha du bord et pissa dans l'eau-un arc brillant et doré qui heurta la surface de cette obscurité pour la disséminer en pièces de puzzle."
Saluons au passage le talent de la traductrice, Céline Leroy, qui a su rendre toutes les nuances de l'écriture de cette auteure.
Et zou sur l'étagère des indispensables !
Éditions Page à Page 2017, 190 pages .
06:05 Publié dans l'étagère des indispensables, Nouvelles étrangères, rentrée 2017 | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : laura kasischke
Mariées rebelles ...en poche
Enfin, le premier recueil de poèmes de Laura Kasischke, dont on n'entendait parler que dans les articles consacrés à celle que nous ne connaissions que comme romancière ! Et ce dont deux éditeurs lillois qui se sont lancés dans cette folle entreprise ! La préface de Marie Desplechin nous donne une folle envie de dévorer tout à la fois le livre et un baba au rhum (dont acte); quant aux poèmes, je vous laisse le soin de les découvrir. Il y est beaucoup question de femmes, de neige et d'amour.
Mariées rebelles *, Laura Kasischke, Traduction Céline Leroy, édition bilingue, préface de Marie Desplechin.
Points Seuil
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : laura kasischke
26/08/2017
Nulle part sur la terre
"Elle s'était rendu compte avec le temps que les mauvais coups, une fois que c’était parti, s'amoncelaient et proliféraient comme une plante grimpante sauvage et vénéneuse, un lierre qui courait tout le long des kilomètres et des années, depuis les visages brumeux qu'elle avait connus jusqu'aux frontières qu'elle avait franchies et à tout ce qu'avaient pu instiller en elle les inconnus croisés en chemin."
Passablement malmenée par la vie, n'ayant nulle part où aller, Maben revient dans sa ville natale, en Louisiane avec sa petite fille. Elle espère pouvoir enfin trouver un peu de calme et de repos.
Russell, après avoir purgé une peine de onze ans de prison ,retourne lui aussi dans cette bourgade où réside encore son père.
Le meurtre d'un shérif peu scrupuleux va réunir nos deux anti-héros et leur offrira peut être, paradoxalement, une possibilité de rédemption.
à lire le résumé, je soufflais d'avance, ayant déjà l'impression d'avoir lu ou vu cette histoire cent fois. Mais, ici, c'est l’atmosphère palpable de tragédie ambiante, quasi étouffante, ainsi que le style de l'auteur, qui font toute la différence. On partage la souffrance des héros, on les regarde tomber et s'accrocher néanmoins, ne jamais renoncer malgré tout.Un roman prenant.
Nulle part ailleurs, Michael Farris Smith, traduit de l'anglais (E-U) par Pierre Demarty, Sonatine 2017.
Lu dans le cadre du Grand prix des Lectrices de Elle.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : michael farris smith
25/08/2017
Nos vies
"Nous parlions peu. Nous étions, je l'ai pensé plus tard, dans la pleine gloire de nos corps.souples, et à la proue de nous-mêmes."
La narratrice du roman a toujours été du côté de la fiction,observant, voire inventant, pour suppléer en quelque sorte la cécité de sa grand-mère. Devenue adulte, sans doute pour distraire sa solitude, elle continue en imaginant, brodant à partir de petits détails, la vie d'une caissière d'origine étrangère au Franprix de son quartier et celle d'un de ses clients du vendredi matin.
Parallèlement, se dévoile petit à petit la propre existence de la narratrice.
La solitude, les sentiments mis sous le boisseau, l'exil, tels sont les principaux thèmes du nouveau roman de Marie-Hélène Lafon. Qu'il soient étrangers ou juste venus de leur région, ses personnages partagent une même absence d'acclimatation à Paris. Ces vies infimes en apparence, Marie-Hélène Lafon sait leur prêter toute l'attention nécessaire pour nous les rendre proches et infiniment attachantes.
Nos vies, Marie-Hélène Lafon, Buchet-Chastel 2017.
à noter que le personnage de Gordana, la caissière ici, apparaissait dans une longue nouvelle précédemment parue aux éditions du Chemin de fer en 2012.
06:02 Publié dans rentrée 2017, romans français | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : marie-hélène lafon
24/08/2017
Underground Railroad
"Une plantation restait une plantation : on pouvait croire ses misères singulières, mais leur véritable horreur tenait à leur universalité."
Nous sommes avant la Guerre de sécession, dans une plantation de coton de Géorgie. Cora, une esclave de seize ans, a réussi à survivre, malgré la fuite de sa mère, aux conditions de travail extrêmes et aux mauvais traitements infligés par son maître.
Quand un autre esclave, Caesar, lui propose de s'enfuir avec lui et de rejoindre les États Libres du Nord, elle hésite, mais finit par accepter. Commence alors un périple tragique, semé d’embûches ,de dénonciations, de violences où les fugitifs rencontreront aussi la solidarité des membres de l'Underground Railroad.
Ce "chemin de fer clandestin" désignait, sous la forme métaphorique, le réseau de routes clandestines emprunté par les esclaves noirs américains en fuite, aidés en cela par des abolitionnistes.
Colson Whitehead a choisi délibérément de prendre cette expression au pied de la lettre, conférant ainsi à son odyssée une dimension fantastique, s'intégrant parfaitement dans l'économie du roman.
On a le cœur qui bat lorsque les esclaves sont pourchassés, on est soulevés d'indignation devant la violence qui frappe indifféremment les Noirs en fuite autant que les abolitionnistes blancs. Certains épisodes m'ont fait penser à Jean Valjean pourchassé par Javert, à Anne Frank enfermée dans son grenier, ce qui montre bien l'universalité du propos de Colson Whitehead et la manière dont ce texte peut résonner en chacun de nous, qu'elle que soit notre culture.
L'auteur remet aussi en perspective la manière dont a été envisagée l'Histoire des Noirs et analyse les raisons du racisme aux États-Unis . L'actualité récente ne peut que souligner la nécessité d'un telle démarche.
Un roman riche, tant du point de vue des émotions que par sa dimension historique.
Underground Railroad, Colson Whitehead, traduit de l’américain par Serge Chauvin,Albin Michel 2017, 398 pages, piquetées de marque-pages.
Couronné par le Prix Pulitzer.
06:00 Publié dans rentrée 2017, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : colson whitehead
23/08/2017
Gabriële
"Ce fut notre gageure de déterrer quelqu’un qui voulut rester dans l'ombre."
Gabriële Buffet-Picabia,"théoricienne de l'art visionnaire, femme de Francis Picabia, maîtresse de Marcel Duchamp, amie intime d’Apollinaire" avait tout à la fois disparu de l 'histoire de l'art et de la vie de ses arrières petites-filles, Anne et Claire Berest, qui ignoraient jusqu'à son existence.
Se basant sur une solide documentation, mais faisant aussi la part belle à leur propre subjectivité, les auteures ont donc sorti de l'oubli cette personnalité exceptionnelle qui fut plus une femme qu'une mère, sachant privilégier l'art de Picabia et fermer les yeux sur ses frasques .
Elle aurait pu être une musicienne, mais sans éclat ,et se révéla bien davantage dans sa manière d'accompagner et de révéler à eux mêmes les artistes d'avant-garde.
J'ai été un peu frustrée de voir résumer en quelques lignes la vie de Gabriële après Picabia, mais cela participait de la logique intrinsèque du texte, puisqu'il s'agissait de jeter par delà les années une sorte de pont entre cette aïeule atypique, et elles-mêmes.
Quelques longueurs, mais Anne et Claire Berest ont su m'intéresser à la vie hors-normes de cette femme. Il se dégage aussi une grande sensibilité et la volonté de ne pas blesser leur propre mère en exhumant une histoire familiale douloureuse.
Gabriëlle, Anne et Claire Berest, Stock 2017, 421 pages.
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle.
06:00 Publié dans Document, rentrée 2017 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : anne et claire berest