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31/03/2017
Hermine blanche et autres nouvelles
"De sillonner la campagne, on l'a déjà presque épuisée. On a décrit toutes les rondeurs de ses collines, la mystérieuse neige, les étoiles piquetées dans le ciel et les bosquets figés, et on tourne en rond à la recherche d'autres détails pour féconder l'inspiration."
Il ne fait pas bon être un animal blessé, voire un blessé tout court, chez les personnages de Noëlle Revaz. Animés par une certaine candeur cruelle, ils ne font pas de quartier et ne pêchent pas par sentimentalisme.
Cette innocence apparente se retrouve de manière plus édulcorée , amis tout aussi trouble, chez ces jeunes adultes confinés dans dans l'enfance par des parents trop et mal aimants qui se livrent parfois à des simulacres hors de propos.
Certaines jeunes femmes n'hésitent pourtant pas à revendiquer leur autonomie dans des monologues souvent très drôles et acérés, même si parfois les coups pleuvent sur elles et que le mari se révèle un ogre, enflant à la mesure de son appétit.
Dans un univers souvent teinté d'onirisme et qui évoque parfois celui de Dino Buzzatti ou le monde des contes, Noëlle Revaz nous trouble par ces textes qui dérangent sans effets de manches. L'autrice use d'articles définis là où on attendrait l'indéfini, use d'helvétismes et crée ainsi de légères discordances qui entretiennent le malaise.
L'humour, souvent noir, est aussi présent et on n'oublie pas de sitôt les personnages un peu décalés qui en disent finalement beaucoup sur notre monde.
Une magnifique découverte !
Hermine blanche et autres nouvelles, Noëlle Revaz, Gallimard 2017.
Ce recueil rassemble certaines nouvelles parues dans des revues et le monologue à plusieurs voix Quand Mamie paru en 2011 aux éditions Zoë
06:00 Publié dans Nouvelles étrangères | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : noëlle revaz
27/03/2017
Paula Spencer...en poche
"Une femme luttant contre la folie en se jetant à sa rencontre."
Rares sont les romans évoquant l'alcoolisme au féminin. Paula Spencer au début du roman est abstinente depuis quatre mois et cinq jours. Nous allons la suivre tout au long de cette reconquête d'elle même et de sa dignité, avec ses minis victoires, ses tentations, ses prises de conscience a posteriori de ce qu'elle a fait vivre à ses enfants.
Aucun apitoiement, aucune rédemption moralisatrice. Paula a des ambitions modestes et formidables: ouvrir un compte en banque, pouvoir offrir un ordinateur à son plus jeune fils, parvenir à communiquer avec sa fille Leanne , avec la compagne de son fils aîné, retrouver un compagnon qui ne la batte pas...
Tout le talent de Roddy Doyle est dans la forme de ce roman qui rend compte du flux de pensées de Paula, qui passe souvent du coq à l'âne sans pour autant perdre son lecteur en route et n'oublie pas de ponctuer son texte de grands éclats de rires, même dans le situations les plus désespérées:
"-Bon, continue Paula. Tout ce que je dirai, c'est que si ça m'arrive, je veux que vous éteigniez la machine.
-mais où est cette putain de prise ?
ça, c'est Leanne."
Un roman riche d'humanité , jamais condescendant envers cette femme de ménage que d'aucuns auraient trop à la légère pu qualifier de" cas social" .
Paula Spencer, Roddy Doyle, pavillons poche 2017, traduit de l'anglais (Irlande) par Isabelle D. Philippe, 385 pages qui se tournent toutes seules.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : roddy doyle
26/03/2017
Ecorces
"Chacun veillait sur son territoire sans se soucier de celui plus vaste qui subissait mille attaques et se mourait au-delà de son portail. Comment s'en soucier quand déjà, ils avaient tant à faire pour entretenir leur jardin, avaient-ils l'habitude de me répondre."
La forêt est en danger de mort mais, dans le Comté où le shérif Ahmed s'est réfugié pour fuir une tragédie familiale, tout le monde s'en fiche. Ou presque. Il faudra que la forêt recrache le cadavre atrocement mutilé d'un animal non identifié pour que tout s'emballe...
Faux polar mais vraie tragédie en trois actes, Écorces distille un humour pince sans rire et un fantastique discrets mais enthousiasmant : "La mauvaise humeur était leur meilleur carburant et ils étaient loin d'être à court."
Ici le héros qui défend discrètement la forêt alors qu'il est officiellement chargé de lutter contre les écolos radicaux , va entrer en osmose avec l'univers sylvestre dans une scène hallucinante et hallucinée.Il n'oubliera pas pour autant de mener son enquête .
Aucune localisation précise n'est donnée,(seules les mentions du shérif et du Comté pourraient évoquer les États-Unis), ce qui confère une dimension universelle à ce texte où se lit un réel amour de la forêt. Les personnages sont parfaitement croqués et en 170 pages et une formidable économie de moyens, Xavier Gloubokii réussit un premier roman utilisant les codes de différents genres avec une belle maîtrise !
Écorces, Xavier Gloubokii, Éditions Liana Lévi 2017.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : xavier gloubokii
25/03/2017
à la place du coeur saison 2
"C'est vrai: on ne va pas cesser d'être cette jeunesse qui entend aller au bout de son insouciance."
Niels ne comprend pas pourquoi son cousin Caumes peine à renouer avec tous leurs rituels estivaux. Il ignore encore que ce dernier a été fortement marqué par une tragédie et qu'il se saborde consciencieusement à tous points de vue.
Esther prend à son tour la parole. Esther qui comprend la douleur de son amoureux mais pas pourquoi il la rejette systématiquement.
Les ados ont grandi, le bac est derrière eux, ils vont tous poursuivre leurs études à Paris et tenter de se frayer un chemin vers l'avenir. Mais les attentats de novembre 2016 vont bientôt les rattraper et les confronter une nouvelle fois à l'horreur...
Pas de bons sentiments, pas d'idéalisation de la jeunesse, mais des jeunes adultes ancrés dans le réel, dont les préoccupations et les sentiments sonnent justes.
Écrit à fleur de peau, ce roman qui nous ménage une surprise narrative, totalement justifiée et s’insérant parfaitement dans l'évolution de Caumes, le roman d'Arnaud Cathrine m'a même mis les larmes aux yeux dans sa relation des attentats de novembre 2016. J'attends déjà avec impatience la saison 3 pour voir comment nos héros auront encore évolué. Un grand coup de cœur !
à la place du cœur, Saison 2 Arnaud Cathrine, Robert Laffont 2017
Saison 1 : clic
11:27 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : arnaud cathrine
23/03/2017
Au début de l'amour
N'y a-t-il pas quelque chose qui les lie l'un à l'autre malgré tout ? "
Stella , mariée, une petite fille de quatre ans, mène une vie très calme dans un quartier résidentiel de banlieue. Elle est infirmière à domicile et ses patients âgés sont quasiment les seuls adultes avec qui elle peut discuter, son mari, un taiseux par ailleurs, étant souvent au loin pour son travail.
Pourtant, quand un inconnu sonne à sa porte alors qu'elle est seule chez elle, elle refuse de lui parler. Il insiste et peu à peu s'installe un harcèlement d'autant plus insidieux qu'il remue en Stella des sentiments contradictoires et la mène à s'interroger sur sa vie et ce qu'elle est devenue.
Plus que le phénomène de stalking (harcèlement), ce que Judith Hermann dépeint ici , c'est la prise de conscience de la petitesse de nos vies comparée à ce que nous en attendions et le personnage de la meilleure amie, exilée à mille kilomètres de Stella, tout comme le réparateur de vélos, aident aussi l’héroïne à ne prendre conscience.
Premier roman de Judith Hermann (autrice auparavant de recueils de nouvelles) Au début de l'amour est un texte d'une redoutable efficacité qui, avec une grande économie de moyens, installe une atmosphère épurée et anxiogène.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : judith hermann
22/03/2017
Jules...en poche
Tous les amoureux des canidés craqueront pour cette histoire d'un chien d'aveugle, Jules, qui perdant toute utilité après que sa maîtresse ait retrouvé la vue (suite à une greffe de cornée), joue les entremetteurs . Si les réactions de Jules sont très bien décrites, j'ai été moins enthousiaste en ce qui concerne la romance, dotées de complications trop alambiquées à mon goût.Mais c'est bon enfant, plein de tendresse, léger et agréable.
De plus, l'auteur nous glisse, mine de rien des infos sur la situation de l'épilepsie, des greffes de cornée et des chiens d'aveugle en France, causes dont on sent bien qu'elles lui tiennent à cœur.
Bon, j'avoue: j'ai versé ma p'tite larme !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : didier van cauwelaert
21/03/2017
Quand monte le flot sombre
"Ces deux mois ont été très longs. Elle était beaucoup plus jeune, il y a deux mois. Elle avait traversé la soixantaine et dépassé les soixante-dix ans en marchant régulièrement sur un plateau des années durant, mais, maintenant, elle a brusquement descendu une marche. Voilà ce qui se passe. Elle sait tout là-dessus. Elle a été avertie plusieurs fois de l'existence de cette marche vers le bas, de cet étage inférieur. Ce n'est pas une falaise de la chute, mais c'est une descente vers un nouveau genre de plateau, vers un niveau inférieur. On espère rester sur ce terrain plat encore quelques années, mais on peut ne pas avoir cette chance."
Tandis que Fran sillonne l'Angleterre, évaluant des maisons de retraite, des inondations menacent, métaphore poétique de la mort dont sont proches presque tous les personnages du roman de Margaret Drabble Quand monte le flot sombre.
Pour autant ce roman n'est en rien lugubre ou désespérant. Fran est pleine de vigueur et ses amis ou connaissances abordent le dernier rivage avec, sinon, sérénité, du moins sans acrimonie. Il est vrai qu'ils ont eu des vies plutôt protégées, du moins dans leur âge adulte, riches d'un point de vue intellectuel et bénéficient de conditions de fin de vie confortables. Veuve mais s'occupant d'un ex-mari alité, Fran entretient aussi des relations subtiles, parfaitement décrites ,avec ses enfants, mais néanmoins empreintes d'une tendresse prudente.
Avec sa finesse et son humour parfois acidulé, Margaret Drabble nous livre une analyse psychologique fouillée, tissée de citations poétiques ou littéraires ,mais aussi un portrait d'une certaine Angleterre. Avec empathie, mais se tenant aussi à distance de ses personnages pour éviter tout pathos, la narratrice du roman affirme ignorer certaines de leurs pensées ou balayer d'un revers de la main, sans précisions, la fin de certains d'entre eux.
Un bon gros roman anglais comme on les aime!
Quand monte le flot sombre, Margaret Drabble, Christian Bourgois , 2017,Traduit de l’anglais par Christine Laferrière.
06:00 Publié dans romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : margaret drabble
20/03/2017
La distance de fuite
"Présomption stupide , qui vient du fait que tout ce que j'écris depuis le début, que la critique a classé comme autobiographique, est avant tout une longue lettre au lecteur."
ça arrive rarement, mais ça arrive: vous ouvrez un livre est, d'emblée, dès les premières lignes, vous avez l'impression que ce livre vous parle directement, que l'autrice s'adresse à vous en particulier.
Les préoccupations de Catherine Safonoff sont en effet aussi les miennes: le rapport à l'autre, la distance de fuite qu'il faut savoir respecter, la fin de la vie , l'usage de la langue...
Dans ce roman, j'ai découvert une femme qui, bien qu'âgée, sillonne son territoire à vélo, affronte un géant surgi de la nuit avec des mots qu'elle lui retourne, même si chez elle, bien à l'abri la peur la saisit rétrospectivement. Elle anime un atelier d'écriture en prison et découvre que le rapport au langage des détenues est totalement différent du sien, revient sur l'histoire d'amour essentielle de sa vie, va chez son psychanalyste, reçoit bien malgré elle son ex-mari, se bat avec son ordinateur, tente d'assumer ses contradictions...
Le style est alerte et la fin, un peu abrupte, arrive bien trop vite. j'aurais bien prolongé la découverte de cette écrivaine suisse.
06:00 Publié dans romans suisses | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : catherine safonoff
17/03/2017
Bifteck...en poche
"-Reprenez-la, dit-il, elle est végétarienne."
Fils-père de sept enfants , poursuivi par un époux jaloux, le jeune boucher breton, André, doit s'enfuir et quitter le plancher des vaches pour voguer, en compagnie de sa progéniture, vers la lointaine Amérique.
Commencé de manière classique Bifteck s'affranchit ensuite graduellement des contraintes du réalisme pour dériver de plus en plus vers le conte ou la fable.
Fable qui est une véritable ode à l'amour paternel,"Elle n'avait pas encore les mots pour le dire, mais elle savait déjà, comme eux, que l'amour d'un père a plusieurs visages , et que pas un ne l'empêcherait d'être heureuse." un amour absolu pour André qui nourrit, taille des vêtements, pétrit ses enfants, les absorbant pour ainisi dire dans un amour sans borne. Mais comme le rappelle Kahlil Gibran: "Nos enfants ne sont pas nos enfants" et le boucher qui leur tient à la fois de père et de mère devra apprendre à lâcher prise, à s'effacer...
Piochant dans les thèmes classiques du conte initiatique, Martin Provost les réinvente avec verve , nous régalant au passage d'une prose alerte et sensible. Seule la fin, trop réaliste pour le coup et trop explicative m'a laissé un arrière goût de déception. Une gourmandise néanmoins !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : martin provost
16/03/2017
La vie selon Florence Gordon...en poche
"La croulante scandaleuse."
Florence Gordon, 75 ans, est une icône féministe à l'esprit aussi acéré que la langue.Plus penseuse qu'épouse, mère ,voire grand-mère, elle entend bien, vu son âge, se consacrer tranquillement à ses mémoires, mais le monde conspire pour qu'il en soit autrement.
Forcée de faire appel à sa petite fille, Florence entend bien ne pas lâcher le cap et ne pas changer d'un iota son comportement, tout sauf agréable.
Magnifique portrait de femme au crépuscule de sa vie, La vie selon Florence Gordon est aussi un récit de transmission. C'est plus par l'exemple que par les paroles que la grand-mère, tout sauf gâteau, montrera la voie à sa petite-fille.
Allez savoir pourquoi, tout au long de ma lecture, j'ai visualisé Florence sous les traits d'une romancière, non pas new-yorkaise ,mais britannique, la grande Doris Lessing, regrettant au passage que Brian Norton n'ait pas su donner davantage d'épaisseur à ses personnages. Un bon moment de lecture néanmoins.
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : brian morton