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31/08/2015
Quand le diable sortit de la salle de bain
"Il y avait bien entendu la question du crédit, ces satanées charges, mais je ne m'enlèverai pas entièrement du crâne que le travail, c'est aussi de la came, du chasse-conscience, c'est l'évacuation de soi par un moyen extérieur."
Sophie, trentenaire au chômage,connaît "la dèche" et en analyse avec précision les conséquences, l'une d’elle étant "de vous claquemurer dans vos soucis".à cet enfermement, à cette raréfaction des relations humaines aussi, s'oppose la grande liberté d'expression de la narratrice qui ne s'interdit rien ni les fantaisies typographiques, ni les remarques de sa mère qui commentent ses actions ( un peu comme une voix off), ni les longues énumérations foutraques (je n'aime pas les hommes qui... ), les listes de synonymes, l'intervention d'un diable lubrique, sans oublier celles un ami tout aussi désargenté qu’elle qui connaitra un entretien surréaliste et hilarant chez Pôle Emploi. Quant au plaidoyer du grille-pain qui ne veut pas être vendu, en vers raciniens, s'il vous plaît, c'est un petit chef d’œuvre d'émotion, si si !
Les ruptures de tons et la fantaisie débridée ne doivent pour autant pas faire oublier les descriptions très justes du monde de la restauration, la réflexion sur la manière dont ceux qui travaillent envisagent les chômeurs et l'impossibilité de partager avec sa famille, pourtant bienveillante, ses soucis.
Sophie Divry réussit un pari a priori fou: évoquer la pauvreté de manière extrêmement précise sans jamais tomber dans le pathos et en faisant tout à la fois sourire et réfléchir son lecteur.Jubilatoire.
Quand le diable sortit de la salle de bain, Sophie Divry, Notabilia 2015, 306 pages bourrées d'inventivité et d'énergie.
Cuné a aussi beaucoup aimé.
Yv, aussi !
06:00 Publié dans Objet Littéraire Non Identifié, rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : sophie divry
30/08/2015
Petits plats de résistance
"Personne à ce jour ne l'avait jamais pris en flagrant délit d'une quelconque activité salariée ou même de recherche d'emploi."
Qu'est ce qui va réunir Sandrine Cordier, "bras séculier du gouvernement contre la hausse du chômage" ,autrement dit employée de Pôle emploi, Antoine Lacuenta, agrégé d'histoire en rupture de bans et militant écologiste, un patron de presse, une "égérie sexo-psy", le directeur et les occupants d'un centre d'hébergement menacé de fermeture, une petite fille surdouée, une mamie à la page (et j'en oublie !) ?
La nourriture bien sûr(chaque chapitre porte un titre appartenant à ce champ lexical et l'on fait le grand écart entre "pâtée pour chiens" et "champagne" en passant par des plats beaucoup plus exotiques), mais aussi la résistance annoncée dans l'intitulé du roman. Résistance qui se manifeste à plusieurs niveaux et sous différentes formes, cocasses ou plus sérieuses.
Combinant des thèmes déjà envisagés dans d'autres romans (solidarité transgénérationnelle et/ou sociale, comme dans Bon rétablissement ou Ensemble c'est tout), réalisation de soi par le biais de la cuisine (Mangez-moi), Pascale Pujol donne à son roman la forme d'une ronde où vont se retrouver ses différents protagonistes. Ronde folle par le rythme, mais maîtrisée aussi (je ne me suis pas sentie perdue malgré le nombre de personnages) où l'auteure joue avec bonheur des possibilités qu'offre le récit, multipliant ainsi les surprises et les rebondissements. La plume est alerte et j'ai passé un excellent moment avec cette comédie enjouée.
Petits plats de résistance, Pascale Pujol, Le Dilettante 2015.
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : pascale pujol
29/08/2015
Dans le silence du vent...en poche
Tu ne peux donc pas manger ? Tu te sentirais mieux. Tu n peux donc pas te lever ? Tu ne peux donc pas ...revenir à la vie ? "
L'été des treize ans de Joe est marqué par le viol de sa mère. Cet adolescent va brutalement faire l'expérience de la notion de justice car l'imbroglio des lois s'exerçant sur le territoire indien et le silence obstiné de sa mère ne facilitent guère l'identification du violeur et son jugement. Joe va donc devoir mener l'enquête de son côté et basculer irrémédiablement dans le monde des adultes.
Louise Erdrich dans ce nouveau roman décrit avec une acuité sans pareille la prostration de la victime et la difficulté à faire émerger la vérité. Une situation hélas représentative car,selon un rapport publié par Amnesty international en 2009, une femme amérindienne sur trois sera violée au cours de sa vie et que, vu le "Labyrinthe de l'injustice", peu des violeurs seront poursuivis. Mais la romancière n'en fait pas pour autant un livre lourdement pédagogique. L'intensité dramatique est prenante et le style parfaitement maitrisé.
Les descriptions de la vie quotidienne de l'adolescent sont autant d'échappées belles loin de l'atmosphère étouffante de la maison familiale et l’occasion également de montrer la solidarité sans faille qui s 'exerce au sein de sa famille élargie.
Un roman que j'ai pris le temps de lire car, malgré quelques notes humoristiques et certains personnages hauts en couleurs, il y règne un climat lourd et poignant. Beaucoup de sobriété et d'émotion. à lire absolument.
Un roman récompensé par le National Book Award et élu meilleur livre de l'année par les libraires américains.
06:04 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : louise erdrich
28/08/2015
Petites scènes capitales...en poche
"Son écorce est brunâtre, sillonnée de crevasses et rugueuse au toucher. Les feuilles plates et trapues, sont infusées de lumières, saturées de jaune franc; certaines sont tachetées de rouge-orangé, à peine. Au moindre souffle de vent, le feuillage frémit et répand une formidable sonnaille de jaune, un cliquetis d'or , de soufre, de paille et de safran. Barbara est saisie d'une allégresse aussi plein et aussi nue, aussi pure que cette trémulation de lumière."
Comment ne pas être pétri d'admiration devant un style aussi ciselé et sensuel ? Ces Petites scènes capitales, vignettes pour dire les moments forts de l'évolution d'une d'abord toute petite fille orpheline de de mère qui va, sa vie durant, conquérir son identité et sa place au sein d'une constellation familiale pour le moins chaotique, sont un pur régal de lecture !
Néanmoins, je dois avouer que l'aspect un peu trop morcelé fait que je n'ai pas été aussi enthousiaste quant à la structure du livre. Elle nuit en effet un peu à l'attachement que l'on pourrait porter aux personnages. Un roman constellé de marque-pages !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : sylvie germain
27/08/2015
Amelia
Quand Kate arrive en pleine journée au lycée de sa fille, il est trop tard: Amelia a sauté du toit .Pourtant rien ne semblait prédisposer cette élève intelligente et mature qui entretenait d’excellentes relations avec sa mère qui l'élevait seule à commettre un tel acte.
Alors qu'elle tente d'accepter la situation, Kate reçoit un SMS affirmant qu'Amelia n'a pas sauté.
Commence alors une exploration de l'univers de la jeune fille pleine de rebondissements et de révélations pour le moins surprenantes.
Pourquoi le cacher ? J'ai dévoré d'une traite ce roman hautement addictif , même si j'étais bien consciente qu'il fonctionnait sur des ressorts plutôt classiques (connaissons-nous vraiment nos proches ? l'amour d'une mère pour sa fille unique ). Classiques mais efficaces car, tout en variant les points de vue et les supports (textos, mails, conversations téléphoniques...) Kimberly McCreight sait raconter une histoire. Elle nous entraîne sur de fausses pistes, tout en dévoilant le petit monde pervers et hypocrite d'un établissement scolaire chic. Oui, le monde des ados est cruel et celui des adultes n'a rien à lui envier.
Si certains ressorts narratifs apparaissent a posteriori un peu outrés, il n'en reste pas moins que j'ai pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce bon gros pavé de 523 pages où je ne me suis pas ennuyée une minute !
Amelia, Kimberly Mac Creight, traduit de l'anglais (E-U) par Éloïse Leplat, le cherche Midi 2015.
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : kimberly mc creight
26/08/2015
J'ai vu un homme
"Aucun de leurs choix n'avait été malintentionné. Et cependant, leur combinaison avait engendré plus d'obscurité que de lumière."
Pourquoi Michael Turner explore-t-il la maison de ses voisins en leur absence ? Voilà à peine sept mois qu'il s'est installé à Londres et très vite, il est entré dans l'intimité des Nelson, une sympathique petite famille.
Différant la réponse à cette question, le récit remonte le temps ...
Michael peine à se remettre du décès de sa femme, Caroline, journaliste tuée au Pakistan. Il n'est pas le seul : le commandant Mc Cullen ,responsable de cette mort, semble lui aussi perturbé par ce cadavre de trop et l'américain qui ne supporte plus d'être "dissocié de ses actes" , a bien l'intention d'agir et d'assumer les conséquences ,par-delà les frontières ,d'une décision prise sans états d'âme.
Owen Sheers , dès la première phrase de son roman, instaure un malaise qui ira s'amplifiant et perdurera même quand sera identifié "l'événement qui bouleversa leur existence". En effet, les liens , bien plus complexes qu'il n'y paraît à première vue, entre les différents personnages, vont les entraîner dans des chemins très tortueux .
Remords, conflits de loyauté, culpabilité sont analysés avec finesse et sensibilité. La narration est extrêmement efficace, le lecteur se perd en conjectures sur la nature de cet événement avant de rester le souffle coupé.Le récit,ponctué de réflexions sur l'écriture (Michael est écrivain), gagne encore en profondeur et crée même peut être une mise en abyme, comme semble le suggérer la dédicace...
Un roman qui nous ferre d'emblée et qu'on ne lâche pas car il allie , et c'est rare, qualité de l'écriture et subtilité de la narration. Du grand art !
Il y avait la page 51 de David Vann il y aura maintenant celle d' Owen Sheers (je me garderai bien de vous donner sa numérotation !)
J'ai vu un homme, Owen Sheers, traduit de l'anglais par Mathilde Bach, Rivages 2015, 351 pages insidieusement addictives.
Et zou, sur l'étagère des indispensables! Nuits blanches en perspective !
Une dernière citation pour la route :" Une histoire qui n'est pas racontée , dit-elle en le pointant d'un doigt accusateur, c'est comme une décharge. Enfouis-la tant que tu veux , elle finira toujours par refaire surface."
06:00 Publié dans l'étagère des indispensables, rentrée 2015, romans étrangers | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : owen sheers
25/08/2015
La clé sous la porte
"S'il faut toujours penser qu'il y a pire pour se dire que ça va bien, c'est que quelque chose cloche sérieusement."
Et pour clocher,ça cloche sérieusement ! Que ce soit pour Ferdinand, pris en tenaille entre une épouse volage et sa fille, ado atroce; José retraité solitaire et endurci; Auguste, dont les parents abusent tout à la fois de sa gentillesse et de sa disponibilité, idem pour Agnès, dont la vie amoureuse est un désastre, mais sur qui ses frères comptent bien pour qu’elle se rende au chevet de leur mère qui agonise pour la énième fois.
Rien de glorieux donc, mais rien que de très normal et de très humain. Seulement cette fois nos anti-héros ont assez et vont ruer dans les brancards, chacun à leur manière, plus ou moins radicale .
Quel régal que ce texte à la fois tendre et caustique ! Un feu d'artifices de remarques qui sonnent juste et qui donnent la pêche !
Sans illusions, ni sur eux-mêmes ni sur les autres, Ferdinand, Auguste et les autres agissent enfin pour secouer leur joug et envoyer valser tout ce qui les forçaient à "abdiquer d'[eux-mêmes]". Tonique et jubilatoire !
La clé sous la porte, Pascale Gautier, Éditions Joëlle Losfeld 2015, 191 pages pour "ne pas désespérer de l'humaine espèce."
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : pascale gautier
24/08/2015
Nous serons des héros
"Elle avait préféré insinuer que c'était moi qui avais besoin d'un père de substitution plutôt qu'elle d'un nouveau mari, cela était plus facile à entendre, plus noble et généreux."
Quelques années avant la fin de la dictature de Salazar, Olivio, huit ans, et sa mère fuient le Portugal et s'installent dans une banlieue lyonnaise. L'enfant n'apprendra que quelques temps plus tard le décès de son père.
D'abord aidés par des compatriotes, le narrateur et sa mère vont bientôt emménager chez un autre exilé, Max, un pied-noir fraîchement divorcé, qui supporte très mal la séparation d'avec son jeune fils. La cohabitation s'instaure tant bien que mal, Olivio devenant un adolescent sensible supportant mal le caractère hâbleur et souvent rude de Max.
Sur la seule foi du résumé, je n’aurais probablement pas donné sa chance à ce roman mais le seul nom de l'auteure a su me décider et j'ai bien fait car d'emblée j'ai été prise par l'émotion intense qui se dégage de ce texte.
L'exil, l'intégration, les sentiments mêlés , l'évolution de cet enfant mais aussi le portrait en creux d’une mère, à la fois volontaire et discrète, blessée mais digne, qui se forge discrètement une place dans la société française du début des années 70 et laisse sous le boisseau ses chagrins et sa détresse ont su m'émouvoir profondément.
Nous serons des héros, Brigitte Giraud, Stock 2015.
Laure a aimé aussi .
06:00 Publié dans rentrée 2015, romans français | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : brigitte giraud, exil, portugal
23/08/2015
Peine perdue ...en poche
à quoi l'humain est prêt à se réduire pour vivre encore un peu. Ce qu'on est foutu d'endurer. D'accepter."
Deux éléments vont perturber la vie tranquille d'une station de bord de mer hors saison : l'agression de celui qui aurait pu être le footballeur de l'équipe locale et une tempête.
On passe ainsi en revue, de chapitre en chapitre, la vie d'une vingtaine de personnages ,liés entre eux à des degrés divers.
Il se dégage de ce roman polyphonique une impression de désespoir diffus, de découragement latent (voir le titre) qui se distille sans discontinuer. Surnagent quelques thèmes chers à l'auteur: les amours mortes, la volonté d'être un bon père malgré la séparation, les lisières des villes et de la société.
On frôle le roman noir, on sent la volonté de se frotter à une humanité engluée, mais rien d'original, aucune intensité, aucune réelle émotion.
Lu sans déplaisir mais sans plaisir réel non plus.
D'autres ont été plus enthousiastes !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : olivier adam
22/08/2015
Dans les yeux des autres...en poche
"Elle sent en elle les milliers de feuilles de livres lues et déposées en elle comme un terreau, comme un engrais."
Anna relit ses carnets, revit ses amours et ses désillusions. N'ayant écrit qu'un seul roman, elle a quitté la scène littéraire et ses petits maîtres (dont l'auteure brosse un portrait vachard) et , ce qui faisait sa vie vingt ans auparavant: l'engagement politique .
Démunie, elle loge chez sa sœur Molly qui, même "cabossée" ,continue à militer ,mais par le biais son travail de médecin dans un dispensaire. Entre elles, une relation complexe, des hommes, mais surtout une mère excentrique qui essaie toujours de tirer la couverture à elle, d'attirer l'attention: Méline.
Portrait d'une génération aventurière et pleine de vie, Dans les yeux des autres fait la part belle à l'idéal, l'humour, le tout saupoudré d'un soupçon de mélancolie. On retrouve ici avec plaisir l'écriture ample et belle de Geneviève Brisac , qui , par son sens de l'observation, comme les romancières anglaises , sait être au plus près du quotidien : "Une urgence vous prend d'être à la maison, de sentir l'odeur de renfermé de la maison, d’ouvrir les fenêtres et le courrier : de désengourdir l'air. On voit certaines personnes qui, des dizaines de kilomètres avant la gare d'arrivée, rangent leurs affaires, remettent leurs vestes, sortent le ticket du métro qui les ramènera chez elles."Nulle mièvrerie dans sa description des rapports humains mais une réelle empathie qui n'exclut pas le regard critique. Un bilan de vie salé-sucré mais un roman enthousiasmant !
06:00 Publié dans le bon plan de fin de semaine, romans français | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : geneviève brisac