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22/11/2012
Assommons les pauvres !
"Les officiers les interrogeaient, ils répondaient, je traduisais, je faisais le trait d'union entre eux."
Pourquoi la narratrice , interprète auprès de demandeurs d'asile a-t-elle fracassé une bouteille sur la tête d'un requérant ? Au commissariat, elle tente d'expliquer son geste, revenant sur les nombreuses situations dont elle doit rendre compte de la manière la plus neutre possible. Mais une telle attitude est-elle tenable quand on est soi-même originaire d'un de ses "pays d'argile" ?
Avec une langue sensible, empreinte de poésie, Shumona Sinha rend compte , parfois avec un humour grinçant, sans pathos, de ces situations oscillant entre le drame et les mensonges, la frontière entre les deux devenant de plus en plus floue.
Il se dégage de ce roman au titre provocateur (emprunté à Baudelaire) une atmosphère vraiment particulière, qui peut rebuter mais aussi fasciner le lecteur par la richesse de l'écriture et le point de vue choisi. Jamais confortable, ce roman jette un regard original sur le pouvoir des mots, leur traduction et la situation en porte à faux d'une héroïne qui part à la dériven, comme contaminée par toute cette misère dont elle essaie de se défendre : " En fin de compte, je ne suis toujours pas guérie des cris et des chuchotements." Une voix singulière , récompensée et à juste titre, par Le prix Valéry Larbaud 2012.
Un exemple de malentendu possible :
"- Donc vous avez bien travaillé dans votre épicerie !
- Je n'ai pas travaillé. je vendais des choses.
- Combien de jours par semaine, monsieur ? et combien d'heures par jour ?
- Du lundi au dimanche. Fermé le vendredi. De huit heures à dix heures du soir.
- Vous travailliez beaucoup, monsieur, dans votre épicerie.
- Je dis que je ne travaillais pas. J'avais une épicerie.
Maintenant c'est l'officier qui me regarde, ahurie. " Y a un problème ? Vous vous comprenez ? Il vous comprend ? Ou il y a un problème avec la langue ? " Il me comprend parfaitement. Je la rassure. Peut être que c'est le mot "travailler" qui le gêne. Pour lui, travailler veut dire être employé. Lui, il est propiétaire de cette épicerie. Donc supérieur à ceux qui travaillent, à ceux qui travaillent pour les autres."
06:00 Publié dans romans français | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : shumona sinha
Commentaires
Cela me fait penser à la dernière réplique du film de Costa-Gavras que j'ai moyennement aimé (j'ai trouvé le propos confus). Bizarre, le livre que tu décris et complètement différent de ce qu'on peut rencontrer dans les étals (étal d'épicerie...mais non,je ne suis absolument pas lourde !). Bises
Écrit par : Philisine Cave | 22/11/2012
Philisine, oui le décalage entre la poésie, l'humour qui surgit au mauvais moment, la roublardise des demandeurs d'asile, tout ceci est perturbant mais diablement intéressant !:)
Écrit par : cathulu | 23/11/2012
J'avais prévu de lire ce titre, ton billet ne me rebute pas au contraire, je sais qu'il est à la bibli...
Écrit par : antigone | 24/11/2012
Antigone, voilà enfin une courageuse!:)
Écrit par : cathulu | 24/11/2012
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